PREMIERS PAS : L’Appel de la Meute
10h, gare de L’Argentière-les-Écrins. L’air est vif, la lumière claire. Dans la vallée, les mélèzes commencent à blondir, et l’odeur de résine annonce déjà l’automne. Robin et Elyse, nos guides, nous attend avec un sourire tranquille et une meute impatiente. Une quinzaine de chiens nordiques : Erza, Smaug, Natsu, Peuf remuent la queue, excités par l’idée du départ. Leur souffle se mêle à la buée du matin. Robin nous apprend les gestes : tendre la longe, sentir la traction, accompagner le chien sans le freiner. Ici, la marche se fait à deux, au rythme du souffle et du regard. Au premier pas, tout bascule. Les chiens s’élancent, puissants, et nous voilà happés par leur énergie. Le sentier grimpe dans la forêt, les mélèzes bruissent, le vent transporte l’odeur de la sève. À chaque cri de marmotte, les chiens se tendent, prêts à bondir. On rit, on s’ajuste, on apprend. L’après-midi, les cimes se dévoilent, lumineuses. A l’horizon, les glaciers des Écrins étincellent. Puis, sur un replat herbeux, le refuge de l’Oriol apparaît, modeste silhouette de bois face aux 4000 m. Les chiens s’allongent dans l’herbe, la langue pendante, satisfaits. Le soleil décline lentement sur les Écrins. La soirée s’organise : eau, feu, gamelles, dîner partagé. Le poêle ronfle, les rires montent. Dehors, la montagne se fige sous un ciel d’encre.
L’AUBE GIVRÉE : En Route vers le Lac de l’Ascension
Au matin, le froid a recouvert le monde d’un voile de cristal. Les chiens s’ébrouent, leurs pattes imprimant la rosée gelée. Le soleil grimpe lentement derrière les crêtes, allumant la montagne d’or et de cuivre. Un café chaud, un bol de porridge, quelques caresses à nos compagnons et nous repartons. Le sentier file vers le lac de l’Ascension, niché au-dessus des forêts. La montée est régulière, rythmée par la traction des chiens. Le souffle des bêtes, le craquement du gel sous nos pas, le bruissement du vent : tout semble accordé.
Au détour d’un virage, un chamois nous observe, immobile, silhouette élancée sur une dalle de pierre. Les chiens le flairent, vibrent, retiennent leur instinct. La montagne, elle, garde le secret de son silence.
Vers le milieu d’après-midi, le lac apparaît, turquoise, immobile. Autour, la roche ocre et les herbes rousses composent une toile d’automne. Nous installons le bivouac sur un replat herbeux, dominant le miroir d’eau. Robin et Elyse nous montrent comment choisir l’emplacement, tendre les cordes, allumer le feu sans gaspiller de bois. Les chiens, attachés non loin, somnolent, paisibles.
La soirée s’étire dans une lumière dorée. Les flammes dansent, les montagnes rougissent.
Puis, une à une, les étoiles s’allument au-dessus du lac.
L’ALPAVIN SAUVAGE : Le Souffle du Nord
L’aube, encore.
Le givre s’invite une fois de plus sur les tentes, et le lac fume dans la lumière bleue.
Les chiens trépignent déjà, pressentent la journée d’aventure.
Nous partons vers le vallon sauvage de l’Alpavin, un repli de montagne préservé, loin de tout.
Les sentiers se faufilent entre les pins et les blocs, puis s’ouvrent sur de vastes alpages silencieux.
Le rythme s’installe fluide, puissant. Les chiens tirent avec régularité, la longe tendue, le souffle synchronisé. On avance ensemble, presque sans parler. À chaque cri de marmotte, la meute frémit, accélère d’un bond, puis retrouve le calme.
Dans le vallon, le monde semble figé dans une autre époque. Les glaciers veillent au loin, les torrents s’échappent des alpages, les herbes roussies ploient sous le vent. Nous croisons la trace fraîche d’un lièvre, le vol d’un aigle, l’ombre d’un nuage sur les crêtes.
En fin d’après-midi, nous redescendons dans une forêt d’or, où les mélèzes flamboient de mille nuances : cuivre, miel, ambre. Le sol est doux sous les pas, tapissé d’aiguilles. La lumière perce en rayons obliques, dorant les museaux des chiens.
Ce soir, le bivouac s’installe au creux de cette forêt. Les chiens forment un cercle autour du feu, couchés sur la mousse. Le crépitement des flammes, le bruissement du vent, les souffles réguliers tout se fond dans une paix simple.
RETOUR : La Vallée Retrouvée
Dernier matin. La brume s’accroche aux arbres, l’air sent la résine et la cendre froide. Les chiens s’étirent, bâillent, puis s’installent devant nous, prêts pour le retour. Nous descendons tranquillement vers la Durance, suivant les rivières qui serpentent entre les troncs. Le sol est tapissé de feuilles dorées. La forêt résonne de cris d’oiseaux, de sifflements de vent. À chaque cri de marmotte, les chiens tendent la longe une dernière fois, comme s’ils voulaient prolonger l’aventure. Le rythme ralentit à mesure que la vallée s’ouvre. À 15h, nous atteignons L’Argentière-les-Écrins. Les chiens s’asseyent calmement, les harnais détachés, les pattes poussiéreuses. On se regarde, on se comprend. Il y a de la fatigue dans les corps, mais de la lumière dans les yeux. La boucle est bouclée. Et dans nos têtes, encore, ce silence vibrant des hauteurs. Cette boucle dans les Écrins n’était pas qu’une marche. C’était une immersion dans le rythme du monde sauvage, une leçon donnée par les chiens eux-mêmes : avancer, s’adapter, écouter.