PROLOGUE : Le Royaume du Crachin
Chaque éclaircie y semble un miracle, chaque rayon de soleil un trésor arraché à la brume. Le ciel change plus vite que l’humeur d’un loch, et la pluie, fine et obstinée, s’invite sans prévenir. Mais c’est cette instabilité même qui façonne la beauté farouche des Highlands, un monde suspendu entre l’eau et la pierre, la lande et le vent.
C’est ici que nous avons choisi de tenter notre pari : Kilt ou Double, une traversée à pied et en packraft du cœur des Highlands, entre montagnes et lochs, sous la houle d’un climat capricieux. Une aventure à l’écossaise, entre endurance et humour, où l’on apprend vite que la pluie n’est pas un obstacle, mais une compagne de route.
Autour de nous, une équipe hétéroclite, rassemblée par une même envie d’ailleurs. Lucien et Robin nos guides et boussoles ; Jéjé, la photographe patiente ; Isabelle, toujours partant pour une partie de Punto ; Léa, dont le rire perce les nuages. Et tous les autres, voyageurs devenus complices au fil des gouttes.
LA CARTE DU NORD : Le Voyage par les Rails
Tout commence à Paris, Gare du Nord.
Le premier café encore chaud, les sacs débordants de curiosité et de barres énergétiques. À 9h, l’Eurostar s’ébranle, emportant notre petite troupe vers Londres, puis Édimbourg, puis encore plus loin : Fort William, porte d’entrée des montagnes.
Dans les wagons, les liens se tissent au rythme des rails. On parle d’itinéraires, de météo, de “petit crachin”, ce mot doux pour dire pluie constante. Les premiers éclats de rire fusent autour d’un jeu de Punto, devenu instantanément rituel de groupe. Le train devient notre premier refuge, notre base mobile, un cocon entre deux mondes.
Au fil du voyage, le paysage se métamorphose : des plaines anglaises au vert sage, aux collines humides de l’Écosse. Puis viennent les lochs, les pins tordus par le vent, et enfin les montagnes. Fort William apparaît sous la bruine promesse de grandeur et de fatigue.
BEN NEVIS : L’Appel des Hauteurs
Sous un ciel étonnamment clair, le Ben Nevis se dresse devant nous, massif et presque accueillant. Le sentier s’élève doucement depuis Glen Nevis, serpentant entre les fougères encore humides de rosée.
Pour la première fois depuis notre arrivée, la pluie s’est tue. Le soleil joue à travers les nuages, révélant la vallée, les lochs et la mer au loin.
La marche se déroule dans un silence émerveillé.
À chaque virage, le panorama s’ouvre un peu plus : les cimes arrondies des Highlands, les lacs miroitants, les nuances infinies de vert et de brun. Le vent est frais, vif, mais pas encore hostile. Nous avançons d’un pas régulier, grisés par la clarté du jour et la promesse du sommet.
Puis, à mesure que l’altitude augmente, le décor bascule.
La brume se lève d’un coup, avalant les reliefs, noyant le ciel. En moins de dix minutes, la montagne change de visage.
La visibilité tombe à quelques mètres. Le vent hurle dans les pierres. Les dernières pentes deviennent minérales, raides, presque alpines.
Les voix s’effacent, chacun se concentre sur son souffle, sur la trace à suivre entre les cairns fantomatiques.
Au sommet, plus rien ne se voit, mais tout se ressent.
La roche luit de condensation, le brouillard colle à la peau.
Nous restons là, debout dans le vide blanc, portés par la fatigue et la puissance du lieu.
Pas de vue, cette fois seulement le sentiment d’avoir touché quelque chose de brut, d’essentiel.
Le soir, le pub nous accueille comme une récompense. Odeur de tourbe, pintes ambrées, frites brûlantes. Les visages rougis par le vent se détendent, les récits fusent, les rires éclatent. L’aventure a commencé.
LES CHEMINS SAUVAGES : Marche au cœur des Highlands
Trois jours de trek. Trois jours à travers un labyrinthe de vallées et de lochs, entre brume et lumière.
Les chemins serpentent entre tourbières spongieuses et pentes couvertes de bruyère. La pluie nous suit, fidèle et discrète, ponctuée d’éclaircies spectaculaires. Un rayon de soleil, et soudain tout scintille : les flaques deviennent miroirs, les montagnes reprennent forme, et les arcs-en-ciel se succèdent comme des promesses de beau temps jamais tenues.
Chaque bivouac est une petite victoire.
On monte les tentes au bord d’un loch, on fait chauffer les repas lyophilisés, on partage le silence du soir. LES vestes sèchent tant bien que mal. Dans ce quotidien minimaliste, chaque geste devient essentiel.
La nature ici n’est pas hostile. Elle teste simplement notre patience. Et nous répondons par la joie.
L’EAU DES HIGHLANDS : L’Appel du Packraft
Après la marche, place à la glisse ou du moins à ce que nous pensions être la glisse.
Les lochs s’ouvrent devant nous comme des plaines liquides, d’un gris changeant, luisants sous un ciel chargé. Nous gonflons les packrafts au bord de l’eau, un à un, dans un souffle collectif. Ces embarcations légères deviennent nos compagnons d’aventure, prêtes à transformer la marche en flottaison.
Mais sitôt les premières pagaies dans l’eau, l’Écosse reprend la main.
Le vent se lève, franc, venu du nord-ouest, griffant la surface du loch. L’eau se ride, puis se cabre. Pagayer ici n’est pas flotter : c’est avancer contre le souffle, trouver le bon angle, ajuster le rythme. Robin, calme et précis, nous enseigne à lire les vagues, à sentir la direction du vent, à synchroniser nos gestes.
Nous apprenons à ramer bas, à garder le cap malgré les rafales, à trouver la cadence qui fait tenir l’équilibre et le moral.
Le packraft devient plus qu’un moyen de transport : un état d’esprit.
LE FEU & LE RIRE : L’Esprit d’Équipe
Le soir, c’est toujours le feu qui rassemble.
Il crépite, obstiné, même sous la bruine. Autour, les rires s’élèvent, les tasses s’entrechoquent, les anecdotes s’enchaînent.
Le Punto reprend vie sur un coin de bâche, transformant la fatigue en jubilation. Les blagues se perdent dans le vent, les chaussettes fument au bord des flammes.
C’est dans ces moments simples que se forge la force du groupe : un mélange de dérision et de solidarité, de chaleur humaine dans un décor d’eau et de pierre.
Nous sommes trempés, fatigués, heureux.
LE BRAME DU CERF : Le Théâtre Sauvage
La dernière nuit dans la nature s’ouvre sur un concert. Un son rauque, profond, venu des collines : le brame.
Les cerfs se tiennent là, silhouettes puissantes dans la lumière du soir.
Ses cris résonnes dans la vallée comme un rappel ancestral : ici, c’est lui le maître.
Nous retenons notre souffle. Plus un mot. Juste le vent, la brume et le grondement de la vie sauvage.
Dans cet instant suspendu, nous comprenons pourquoi nous sommes venus : pour entendre ce que le monde a à dire quand on se tait enfin.
SRETOUR À LA PIERRE : Édimbourg, la Citadelle
Les rails nous ramènent vers la civilisation.
Édimbourg s’étend, noble et mystérieuse, entre château et pavés mouillés.
Le Royal Mile grouille de musiciens et d’odeurs de tourbe. Les pubs s’allument, les vitrines brillent.
Le soir, autour d’un whisky, nous trinquons à la pluie, au vent, aux kilomètres et aux arcs-en-ciel.
ÉPILOGUE : KILT OU DOUBLE
Ce voyage n’était pas une épreuve, mais une révélation.
L’Écosse nous a appris la patience, la persévérance, et cette beauté des choses imparfaites.
Le crachin a lavé nos certitudes. Les lochs ont reflété nos silences. Les rires, eux, ont résisté à tout.
“Kilt ou double” un pari contre la météo, gagné grâce à la lumière intérieure d’une équipe soudée. Car dans les Highlands, il n’y a pas de mauvais temps : seulement des cœurs mal préparés.